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.— J’y vois si bien, répondit Rufinus, que je pourrais compter le nooombre de pis qu’ont les vaaaches sur la Luuune.Emmanuel eut un sourire étonné, et demanda :— Sacré exploit en vérité.Et puis-je savoir, s’il vous plaît, combien elles en ont ?— Plus taaard, répliqua Rufinus.Ce que je fais requiert toooute mon attention.Mais il eut beau écarquiller les yeux, froncer le nez, tirer la langue ou se mordre la lèvre inférieure, il ne parvenait pas à voir quelle sorte de voile les suivait.— Elle est peut-être plus éloignée de nous que la Lune, murmura Cassiopée, pour se moquer de Rufinus.— Je faaais de mon mieux ! Mais mon auguuuste vision ne pooorte pas à l’infiniii.— N’empêche, poursuivit Cassiopée, si ce que tu dis est vrai, tu y vois bien mieux que la vigie.Peut-être devrais-tu aller la remplacer ?Du doigt, elle désigna le sommet du mât de la felouque, où un ouistiti était perché.— C’est ça, notre vigiiie ? s’étonna Rufinus.Il sait paaarler ?— Il pousse un cri quand il voit la terre, précisa le marin.— Et ça suffiiit ?— Amplement.— Et dans le cas de ce navire ? demanda Emmanuel, en indiquant du doigt le point blanc qui scintillait à l’horizon.— Il vient me trouver.Ce qu’il a fait tout à l’heure…Comme s’il avait compris qu’on parlait de lui, le ouistiti leur adressa un rapide salut et se remit à guetter, une main au-dessus des yeux, l’autre accrochée au mât.Le corps arqué, il adoptait la posture des naïades dont les anciens Égyptiens adoraient décorer leurs galères.C’était là-haut que Rufinus devait aller.— Mais comment faire pour l’y emmener ? s’interrogea Emmanuel à haute voix.Le mât n’est pas assez solide pour supporter le poids d’un être humain…Cassiopée leva le poing – pour convoquer son faucon.Parfois, l’oiselle venait s’y poser si rapidement qu’elle semblait en jaillir.Ce fut le cas.Durant une fraction de seconde, le poing de Cassiopée se dressa, nu.L’instant d’après l’oiselle était dessus.Cassiopée n’eut qu’à regarder Rufinus pour que l’oiselle l’emmène dans les cieux, tête à l’envers, en le tenant par son crochet.Ils n’eurent pas longtemps à attendre – un glapissement de Rufinus leur révéla qu’il avait vu du haut de son perchoir ce que le manque de hauteur ne lui avait pas permis de distinguer depuis le pont de la felouque.— Des Teeempliers !— À quoi le savez-vous, monseigneur ? demanda Emmanuel.— À la tête de mooort flottant au sommet de leur veeergue.Ils ont pour habituuude de l’y hisser quand ils veulent dire à leurs ennemiiis : « La mooort arriiive ! »Cassiopée baissa aussitôt les yeux vers Crucifère.L’épée ne luisait pas.Pas encore.« Nous sommes trop loin », pensa-t-elle.« Pourtant c’est lui, je le sens… »— C’est Simon, souffla-t-elle.— Lui ? Ce démon ! Mais dans quel but ?Cassiopée fit une moue étrange, à la fois triste et désolée :— Est-ce que je sais ? Peut-être s’imagine-t-il que nous allons sauver mon père ?— Je crains, fit Emmanuel en s’appuyant des deux mains sur le bastingage, que ce ne soit pas son unique but…Il regarda Cassiopée, cherchant à lui dire qu’il tenait plus à elle qu’à la Vierge Marie, mais s’en abstint.Depuis qu’ils avaient quitté Acre, il en était convaincu : Cassiopée était la dame de son cœur.Elle était la flamme qui brûlait dans sa poitrine, pour lui donner envie de vivre et l’emplir de bonheur.Depuis sa résurrection au sein de l’oasis des Moniales, il n’était plus lui-même.« Le chevalier de l’Hôpital est mort.Frère Emmanuel est à l’agonie.»Parfois, il lui arrivait de songer – non sans mélancolie – à cet Emmanuel arrivé tout bébé de sa Picardie natale, et qui était tombé sous le charme des paroles de Morgennes alors qu’il n’avait pas sept ans, avait intégré l’Hôpital, était devenu écuyer du plus vaillant des chevaliers établis en Terre absolue, avait été adoubé par Alexis de Beaujeu, puis était mort… Tué par Renaud de Châtillon, un mystérieux arbalétrier et un jeune Templier blanc.« Non, je n’ai pas été tué par eux.» En vérité, personne ne l’avait tué.Il avait pris seul la décision de pousser sa monture dans le gouffre au fond duquel coulait l’al-Assi.Ainsi il avait tué son destrier, et avait survécu…Une chaleur lui empourpra le visage.« Heureusement, se dit-il, il n’y fait pas assez clair pour que Cassiopée s’en aperçoive.»Car cette chaleur, il le savait, c’était elle.Cette pression dans sa poitrine, au niveau du cœur, c’était elle aussi.Quand elle s’approchait de lui.Quand elle lui parlait.Et même, oui, même à ces moments-là, quand elle chevauchait devant lui et qu’il regardait sa chevelure onduler sur son dos, ses fesses posées sur sa selle, et ses jambes enserrer sa monture… Il éprouvait un sentiment de jalousie.La première fois que cette rougeur était apparue, c’était à Constantinople.La deuxième fois, c’était à Tyr, lorsqu’ils avaient visité les fonderies des artisans juifs.Des bains de métal en fusion, d’autres où du sable se transformait en verre, emplissaient une salle enfumée.Là, au milieu du souffle des forges, près de ces cuves où des liquides bouillonnaient, il s’était senti rougir.C’est à ce moment-là qu’il avait compris qu’il ne s’appartenait plus, et s’était réjoui de pouvoir mettre sur le compte des forges l’intense chaleur qui l’envahissait quand Cassiopée était près de lui.« Mais je me dois à ma dame ! Je suis aussi un moine, qui a fait vœu de célibat, de chasteté ! »Alors, il s’était fait distant.Ombrageux.Pour qu’elle ne perce pas à jour le secret qui lui brûlait la poitrine, il feignait d’être préoccupé.— À quoi penses-tu ? lui demanda Cassiopée.Emmanuel sortit de ses rêveries.Émergeant des nuages, la lune donnait l’impression de se balancer entre le mât et les cordages de leur felouque.Était-ce par espièglerie ou par timidité, toujours est-il qu’elle semblait prendre plaisir à se cacher derrière la grand-voile, pour en surgir l’instant d’après, illuminant le visage d’Emmanuel.— À ce qui nous attend, répondit-il.Au sang que nous ferons couler.— Aucun sang ne coulera, rétorqua Cassiopée.Car nous allons les semer, n’est-ce pas ? demanda-t-elle au capitaine, un vieillard à la barbe d’un noir de suie.— Hélas, mon savoir-faire et mon expérience ne sont rien quand on les compare à ceux du grand Chefalitione, ou à la magie noire [ Pobierz całość w formacie PDF ]
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