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.» Elle jeta un coup d’œil à son compagnon.À califourchon sur la branche, les pieds croisés, il paraissait bien accroché quoique un peu mal à l’aise.L’intensité de son regard la gêna : était-ce ses écailles qu’il observait ? Les minuscules écailles qui soulignaient ses lèvres, la crête naissante qui courait le long de sa mâchoire ? Elle détourna le visage et poursuivit : « Avant d’habiter dans les Cages à Grillons, nous vivions dans les Nids d’Oiseaux, le quartier le plus pauvre de Trehaug.Mais les Tatoués sont arrivés, puis d’autres immigrants, et nous avons dû encore déménager.»Dans les Nids d’Oiseaux, les maisons en lattes de bois entre-tissées de lianes se composaient de petites pièces, et il fallait emprunter des traverses aériennes étroites qui descendaient sur plusieurs niveaux avant de trouver des ponts et de larges allées sur les branches.« Nous habitions les Nids d’Oiseaux depuis quelques années à peine quand un raz-de-marée d’artistes et d’artisans s’y est installé, Tatoués pour beaucoup, étrangers au désert des Pluies, et qui cherchaient des loyers bas et un quartier où les voisins ne se plaindraient pas du bruit, des fêtes et d’un style de vie en dehors des normes.» Thymara sourit : elle adorait habiter dans les Nias d’Oiseaux, autant que sa mère détestait ce voisinage.Les artistes exposaient leurs créations sur toutes les branches, et le quartier le plus pauvre de la ville était riche de beauté ; des carillons éoliens tintinnabulaient à tous les carrefours, les garde-corps le long des voies se couvraient de tapisseries de fils et de perles de couleur, et des visages peints ornaient l’écorce rugueuse des branches d’où pendaient les fragiles demeures.Même celle de ses parents s’éclairait de teintes vives, car son père devait souvent accepter des échanges en nature contre ses maigres récoltes.Longtemps avant que Diana n’eût acquis sa réputation de tisseuse, Thymara portait un chandail et une écharpe nés sous ses doigts agiles ; quant au coffre sculpté où elle rangeait ses vêtements, c’était l’œuvre de Rafles en personne.Elle aimait ces objets, non parce qu’ils avaient de la valeur, mais à cause de leur audace et de leur nouveauté, et c’est seulement bien plus tard que sa mère avait pu les vendre pour un prix qui avait laissé ses parents pantois, mais n’avait pas consolé la petite fille de leur perte.Comme cela se produit toujours, du moins selon son père, les clients fortunés des artistes commencèrent à fréquenter les Nids ; non contents d’acheter la production de leurs protégés, ils s’emparèrent aussi peu à peu de leur style de vie, et bientôt les fils et les filles des familles les plus riches du désert des Pluies vécurent parmi eux, se conduisant comme s’ils étaient eux-mêmes artistes mais sans rien créer, sinon du bruit, des allées et venues incessantes et une réputation de dérèglement pour les Nids.Leurs parents avaient les moyens de payer des loyers bien supérieurs à ce que pouvaient se permettre ceux de Thymara.Les riches propriétaires de maisons secondaires dans le quartier exigeaient des passerelles plus sûres et des voies sur branches plus larges, et payaient des impôts en conséquence.Des boutiques et des cafés s’installaient dans les arbres voisins, et les artistes établis se réjouissaient de leur richesse et de leur renom récents.« Mais les loyers trop élevés nous ont chassés ; nous ne pouvions plus payer les impôts ni nous offrir le restaurant.Nous avons dû vendre toutes les œuvres que mon père avait reçues en paiement, réunir tout l’argent qui nous restait et déménager encore une fois.» Elle tendit le cou.Quelques lampes à l’éclat jaune brillaient dans les minuscules logements au-dessus d’elle.« À la prochaine expulsion, nous finirons sans doute dans les Cimes.Il y a de la lumière toute la journée, mais il paraît que les maisons dansent dans le vent quasiment tout le temps.— Ça ne me plairait pas, je crois, fit Tatou.— Non, sûrement ; mais j’aime bien vivre dans les Cages à Grillons.On ne manque jamais de pluie, si bien qu’on n’est pas obligé d’aller chercher de l’eau ni d’en acheter aux porteurs.Ma mère nous a fabriqué une baignoire suspendue qu’elle a tissée elle-même lors de notre installation, et c’est adorable, en été, quand l’eau est naturellement tiède ; de la mousse pousse sur les bords, et on reçoit la visite de petites grenouilles, de papillons et de lézards ; et puis il n’y a pas besoin de grimper bien haut pour trouver des fleurs qui cherchent le soleil.Quand je peux en cueillir, ma mère descend les vendre aux marchés où on ne trouve pour ainsi dire jamais de fleurs des Cimes.»Comme si elle avait entendu qu’on parlait d’elle, sa mère brisa la paix du soir d’une voix sèche et furieuse : « Thymara ! Rentre à la maison.Tout de suite ! »La jeune fille se releva d’un mouvement souple.Elle avait perçu dans le ton de sa mère une note qui, plus que l’irritation, exprimait la peur ou le danger, et l’inquiétait.« Un instant, dit Tatou en s’efforçant de se décrocher de sa branche.— Thymara !— Je dois y aller ! », s’exclama-t-elle, et elle s’élança vers lui.Elle entendit le hoquet d’effroi qui lui échappa quand elle prit appui sur ses épaules pour sauter avec légèreté au-dessus de lui, retomber sur la branche oscillante et courir jusqu’au tronc.Une réflexion de son père lui revint à l’esprit : Tu es faite pour la voûte, Thymara ; n’en aie jamais honte ! Pourtant, elle s’étonnait de l’étrange fierté qui l’avait saisie en voyant Tatou sidéré devant son agilité.Elle avait senti la tiédeur de ses épaules sous ses paumes.« Je peux te voir demain ? lui cria-t-il.— Sans doute ! répondit-elle.Quand j’aurai fini mes corvées.»Elle dévala le tronc en se désintéressant de la main courante et des entailles dans le bois pour se servir de ses griffes et descendre rapidement.Quand elle parvint aux deux branches qui supportaient sa maison, elle les parcourut au pas de course puis se balança pour se glisser par la fenêtre de sa chambre.Elle atterrit sur le grand coussin bourré de feuilles qui lui servait de lit et qui occupait tout le plancher, et elle se rendit aussitôt dans la pièce principale.« Je suis rentrée », dit-elle, le souffle court.Sa mère l’attendait, assise en tailleur au milieu du plancher.« À quoi joues-tu ? demanda-t-elle d’un ton furieux.Tu cherches à te venger, maintenant que ton père m’a quasiment interdit de parler de l’offre qu’on m’a faite ? Tu veux humilier toute ta famille ? Que va-t-on penser de nous ? Que va-t-on penser de moi ? Tu seras contente quand on nous aura chassés de Trehaug ? Ça ne te suffit pas qu’à cause de toi nous soyons obligés de vivre loin de tout ? C’est pour ça que tu crois nécessaire de nous humilier complètement ? »Il existe une fleur des Cimes qu’on appelle corolle-archer ; elle est ravissante et dégage un parfum merveilleux, mais, quand on touche sa tige, elle décoche sur l’assaillant une salve de minuscules épines.Les questions de sa mère lui cuisaient comme une grêle de piqûres qui ne lui laissait pas le temps de réagir ; quand son accusatrice s’interrompit, elle haletait, les joues rouges.« Je n’ai rien fait de mal ! Je n’ai rien fait pour jeter l’opprobre sur moi ni sur notre famille ! » Thymara était tellement choquée qu’elle avait du mal à s’exprimer.Mais, à ces paroles, l’indignation de sa mère redoubla, et ses yeux parurent s’exorbiter [ Pobierz całość w formacie PDF ]
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