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.On s’aperçoit qu’aux mots français poisson, pied, père, plein, pour correspondent en anglais les mots fish, foot, father, full, for.Le « p » français devient donc un « f » en anglais et vice versa.Idem : les mots français tonnerre, tu, toit et dix, deux, dent se disent en anglais thunder, thou (ancien anglais), thatch et ten, two, tooth.Ce qui signifie qu’il y a une correspondance entre le « t » français et le « th » anglais et entre le « d » français et le « t » anglais… Les linguistes traquent ce type de changements réguliers en comparant des centaines de mots, parfois dans des dizaines de langues.Ensuite ils élaborent des tableaux de correspondance pour déterminer les phonèmes ancestraux de façon que les évolutions phonétiques soient plausibles et que le système de sons reconstruit soit naturel.— On reconstruit ainsi un système de phonèmes, mais comment reconstruire les mots eux-mêmes ?— Tout simplement en assemblant, pour chaque mot, les phonèmes de la proto-langue dans l’ordre où ils apparaissent dans les langues filles.Par exemple, nous avons vu que le mot dent du français correspond à tooth en anglais, et que les première et dernière consonnes de ces deux mots illustrent les correspondances bien connues « d »-« t » et « t »-« th ».Pour la première, les indo-européanistes ont reconstruit le protophonème « *d » (l’astérisque marque une forme reconstruite, non directement observée), et pour la seconde ils ont reconstruit « *t ».Le mot dent en proto-indo-européen se prononçait donc « *d…t ».Les spécialistes reconstruisent aussi les deux sons du milieu sur la base de correspondances que je n’ai pas évoquées, ce qui donne la forme « *dont ».Vocabulaires ressuscités— Avec ces méthodes, vous obtenez donc une liste de vocabulaire.Mais pouvez-vous reconstruire également la grammaire ? Pourriez-vous, si vous n’aviez pas de textes latins, retrouver les déclinaisons latines alors qu’aucune langue romane actuelle ne comporte de déclinaisons ?— Non, bien sûr ! Votre question illustre parfaitement les difficultés auxquelles nous nous heurtons et montre que la réalité n’est jamais aussi simple que la théorie.On pourrait penser que les langues romanes descendent du latin de Cicéron.En réalité, l’italien, le français ou le castillan ne descendent pas directement du latin classique que l’on apprend aujourd’hui à l’école, mais du latin tardif parlé au moment de la désintégration de l’Empire et dans lequel les déclinaisons avaient déjà tendance à disparaître – c’est d’ailleurs probablement pour cette raison qu’aucune langue romane actuelle ne les a conservées.La reconstruction d’une protolangue est toujours incomplète : on reconstruit une partie plus ou moins grande du vocabulaire, éventuellement une partie de la grammaire, les règles de formation des mots comme les pluriels, les conjugaisons ou les déclinaisons justement.Mais on ne reconstruit pas tout, loin de là.Certains éléments sont perdus à jamais : parce qu’ils ne sont représentés dans aucune langue fille ou parce qu’ils n’ont été préservés que dans une seule langue, et que l’on n’a alors aucun moyen de savoir s’il s’agit d’un élément ancestral.Il n’existe pas aujourd’hui de proto-langue reconstruite avec un détail suffisant pour qu’on puisse la parler.— Mais, dans les cas où vous avez reconstruit beaucoup de vocabulaire, on ne pourrait même pas dire quelques phrases ? On trouve sur Internet une fable en proto-indo-européen : « Le mouton et les chevaux »…— Oui, la fable d’August Schleicher, un linguiste allemand du XIXe siècle, parfois revue et corrigée par les modernes.L’exercice n’est pas inintéressant, ne serait-ce que parce qu’il nous permet de mieux nous rendre compte des lacunes.Mais il faut bien comprendre que pour écrire des textes de ce type, on doit prendre beaucoup de décisions arbitraires, des décisions sur des problèmes en suspens, par exemple sur l’ordre des mots, qui est très volatil et difficile à reconstruire en détail.Tout à l’heure, quand je vous ai proposé un café, j’ai ajouté : « Vous le prenez comment ? » ; il y a cent ans, j’aurais demandé : « Comment le prenez-vous ? » Vous voyez, ce type de changement est si rapide et si subtil qu’il est illusoire de penser le retrouver.— Mais si tous ces travaux ne permettent pas de ressusciter ces langues disparues, que nous apprennent-ils sur les gens qui les parlaient, ces hommes du néolithique qui ont profondément marqué la planète ?— Pas mal de choses finalement.Le vocabulaire que nous parvenons à reconstruire nous donne de précieux renseignements sur leur culture.Leur culture matérielle d’abord : les plantes cultivées, les animaux domestiques, les outils utilisés, les activités de chasse ou de pêche, la construction des maisons… Parfois ils nous donnent aussi des indices sur leur système de parenté, leurs croyances religieuses… Prenons le proto-austronésien, que je connais bien.Le vocabulaire reconstruit nous indique que cette population qui habitait Taïwan vers 3 500 avant notre ère cultivait le millet et le riz.Eh bien, nous pouvons reconstruire un mot pour le riz en tant que plante, un mot pour le riz en tant que nourriture, et un autre pour les grains décortiqués… Un mot pour cochon domestique, un mot pour chien… Ils péchaient : il existe un mot pour bateau, un autre pour filet… Ils avaient des maisons, des champs.Voilà pour la culture matérielle.Pour le monde des idées, nous savons que les Proto-Austronésiens enterraient leurs morts – il y a un mot pour enterrer – et qu’ils vénéraient peut-être un être surnaturel nommé *qaniCu… Comme le terme *aki (« grand-père », « ancêtre ») a évolué dans certaines langues vers le sens de « divinité », cela suggère l’existence d’un culte rendu aux ancêtres.Nous n’en savons pas beaucoup plus.Juste un indice sur le système de parenté : le même mot désignant le beau-père pour une femme et l’oncle maternel pour un homme, on peut imaginer un mariage préférentiel avec la fille de l’oncle maternel [ Pobierz całość w formacie PDF ]
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