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.Quincey vérifia à tâtons si sa fausse barbiche n’était pas de travers avant d’entamer son monologue, tout en dévalant les marches de la fontaine.Il fallait regagner coûte que coûte l’attention.— Je suis le serviteur du grand Lucifer et ne puis te suivre sans son congé ; nous ne devons rien exécuter en dehors de ce qu’il nous commande[6] !Un bref instant, il crut que la puissance de son jeu suffirait à reconquérir son public, mais perdit tout espoir quand Méphistophélès glissa sur la pierre humide et tomba sur son fondement.Un éclat de rire fusa tandis que les derniers spectateurs s’éloignaient.Quincey frappa le sol d’un poing rageur, puis arracha son postiche… trop heureux de ne pas avoir cédé à la mode de la moustache en dépit de ses vingt-cinq printemps, auquel cas celle-ci eût subi le même sort que la fausse barbe ! Ce fut alors qu’il l’aperçut, ricanant comme à son habitude.Le plus exécrable des rebuts de l’humanité, Braithwaite Lowery, l’étudiant avec lequel il partageait son meublé.Que fait-il là ? Cet âne bâté n’a aucun goût pour les arts.Braithwaite lorgna par-dessus ses lunettes les rares pièces de monnaie qui jonchaient le sol.— Ta niaiserie me stupéfiera toujours.As-tu la moindre idée des émoluments journaliers d’un avocat, Harker ?— Je n’ai que faire de l’argent.— Parce que tu sais qu’un jour tu entreras en possession d’un héritage confortable.Moi qui suis descendant de pêcheurs du Yorkshire, je vais devoir gagner mon patrimoine.Si seulement Braithwaite se doutait de tout ce à quoi Quincey avait dû renoncer afin de s’assurer le soutien financier de sa famille !— Que veux-tu donc ? demanda-t-il en ramassant son obole.— Ce courrier est arrivé pour toi.Encore une lettre de ton père, répondit Braithwaite d’une voix enjouée mêlée de fiel.Ce sagouin adorait voir Quincey au supplice chaque fois que celui-ci recevait une missive dans laquelle son père n’avait de cesse de le rabrouer.— Sais-tu ce que j’apprécie en toi, Braithwaite ?— Je n’en sais fichtre rien.— Moi non plus ! répliqua Quincey qui lui arracha l’enveloppe d’une main, tout en lui faisant signe de déguerpir de l’autre.Lettre de Jonathan Harker, Exeter, à Quincey Harker, université de la Sorbonne, Paris.29 février 1912.Mon cher fils,J’ai reçu un courrier des plus contrariants faisant état de l’évolution… ou plutôt de l’absence d’évolution de tes études, lequel m’informait par ailleurs que tu consacrais une fois de plus bien trop de temps à tes activités hors de l’université.Je ne puis l’accepter.Bien que tu sois absent de la maison depuis trois ans, pour la plus grande tristesse de ta chère mère, je me dois de te rappeler que mon argent sert toujours à payer tes études, ton gîte et ton couvert.Si tu devais échouer à tes examens trimestriels, même mes relations ne sauraient éviter ton renvoi.Ce qui, bien entendu, entraînerait l’arrêt immédiat du versement de ton allocation journalière et…Quincey interrompit sa lecture.De plus en plus de gens se pressaient vers la sortie du jardin public.Pareille agitation le détourna sans peine de la voix condescendante de son père qu’il lui semblait entendre derrière chaque mot dactylographié.Il feuilleta le reste de la missive.Nom d’un chien ! Treize pages ! La famille Harker se singularisait toujours par son volumineux courrier… alors que ses dîners silencieux étaient d’un ennui mortel.On se bousculait encore pour rejoindre les grilles du parc et la porte Odéon.— Mais que se passe-t-il donc ?Tout en continuant de marcher d’un bon pas, un homme lui cria par-dessus son épaule :— Basarab ! Il vient d’arriver ! Là ! Maintenant ! Basarab ? Quincey se souvint d’avoir lu quelques semaines plus tôt dans Le Temps que Basarab, le grand acteur shakespearien qui se présentait sous cet unique patronyme, devait jouer à Paris.Toutefois, s’il rêvait de voir sur scène ce comédien de renommée mondiale, Quincey avait abandonné l’idée, sachant qu’il ne pourrait justifier le coût d’un billet dans le compte rendu de ses dépenses transmis chaque mois à son père… pour contrôle.Il lui avait si souvent menti que Jonathan décelait la moindre de ses astuces.Le jeune homme se dit qu’il jouait de malchance.A moins que le destin n’en eût décidé autrement… Il se sentit soudain ragaillardi, en songeant que ce n’était pas sa prestation médiocre qui avait chassé son public, mais que le grand acteur lui avait tout bonnement volé la vedette [ Pobierz całość w formacie PDF ]
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