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.Une odeur bizarre lui parvient un moment, puis plus rien.Elle a dû s'endormir.Au petit matin, l'enfant gémit doucement.La fièvre ne le lâche pas et il est si pâle, que son petit visage se confond avec les draps.Sa mère lui tamponne doucement le front et les tempes avec de l'eau froide.Il est environ cinq heures lorsque le pas lent de grand-mère Dinù s'arrête près du petit lit.Elle tient un bol à la main, dans lequel fume un peu de liquide brunâtre.Elle le tend à sa belle-fille d'un air grave :— Fais boire Michael.Pour chasser la mort.— Qu'est-ce que c'est, grand-mère ?— Fais boire ton fils, ne demande pas.— Mais le docteur a dit que c'était inutile, grand-mère, tu sais bien.— Fais boire ton fils, je dis ! Seule chance pour la vie !Pourquoi pas.Cela ne peut pas faire de mal à l'enfant, et Ruth obéit, comme une automate.Mais elle éprouve quelques difficultés à faire boire son fils dont les dents serrées refusent de s'ouvrir.Découragée, elle abandonne le bol sur la table de chevet.Même pour faire plaisir à la grand-mère, elle n'a pas la force d'insister.Alors patiemment, grand-mère Dinù va donner elle-même la potion, goutte après goutte, en se servant d'un coin de mouchoir.Elle le trempe dans le bol, puis le glisse entre les lèvres gercées de l'enfant, et recommence, encore et encore, tandis que Ruth pleure dans un coin de la chambre, à petits sanglots épuisés.Lorsque le médecin arrive vers huit heures, grand-mère Dinù a rangé son bol et sa mixture.Le petit Michael ne respire plus qu'à un fil.Le médecin sait qu'il n'y a plus rien à faire.Piqûres, oxygène, tout cela n'y fera rien.L'issue lui paraît fatale.Alors il s'éloigne avec le père et tente de le préparer doucement au drame qui menace, à moins d'un miracle.Telle est la situation, le six septembre mil neuf cent trente-sept, à neuf heures du matin, dans la maison de brique et de bois de Teddy Gheorghi.Pendant ce temps, dans les locaux d'un cimetière de l'Est de la ville, c'est la panique.La police vient de découvrir le résultat de la visite nocturne de grand-mère Dinù.Il est des pratiques étranges dont on ne connaît pas vraiment l'origine, et que l'on croit plus folkloriques que réelles.Dans le village natal de grand-mère Dinù, en Roumanie, comme dans d'autres villages d'ailleurs, on sait par exemple que si la malédiction se porte sur une famille, c'est qu'il y a un « Strigoï » parmi ses défunts.Un Strigoï est un mort qui se nourrit des vivants.Il faut le déterrer, le couper en deux et le brûler, afin qu'il ne fasse plus mourir les membres de sa famille pour s'en repaître.Il faut surtout lui arracher le cœur et le brûler.Car les Strigoï sont des morts-vivants, que l'on ne peut tuer définitivement qu'en leur brûlant le cœur, ou en le transperçant d'une épée.Mais le cœur d'un Strigoï réduit en cendres et mélangé à de l'eau, peut guérir les malades.D'ailleurs, le cœur de n'importe quel défunt peut guérir un malade.C'est même le seul moyen de le sauver, selon grand-mère Dinù.Bien entendu, en règle générale, on ne se sert que des cœurs de Strigoï, lorsqu'il devient nécessaire de les brûler.Il serait impensable et sacrilège d'utiliser le cœur d'un membre de la tribu.Par contre, le cœur d'un étranger est un remède sûr.Aussi sûr que celui d'un Strigoï.La police ignore tout cela.Ce qu'elle sait, c'est qu'un maniaque a pénétré dans les locaux d'une morgue et profané le corps d'un défunt.L'information est transmise à tous les postes de police et c'est ainsi que le sergent Donally se souvient avoir rencontré, sur la route près du cimetière dont il est question, une vieille dame avec un cabas.Certes, il n'imagine pas la vieille dame se livrant à cette chose macabre et épouvantable, mais sa présence était insolite et peut-être a-t-elle vu quelque chose.Bref, le sergent Donally rend compte de l'incident à ses chefs, et il est dix-sept heures, ce même six septembre mil neuf cent trente-sept, lorsqu'on frappe à la porte de la maison de brique et de bois.Le sergent Donally s'est fort bien souvenu de l'adresse, la grand-mère lui ayant montré sa carte d'identité, afin qu'il puisse la lire.Teddy Gheorghi et son épouse reçoivent les policiers avec étonnement.Ruth se souvient en effet que la grand-mère ne dormait pas la nuit dernière, et tous deux sont stupéfaits d'apprendre qu'elle se promenait seule du côté d'un cimetière.La vieille dame hausse les épaules, lorsqu'on lui demande ce qu'elle faisait là.Elle s'adresse à Teddy, son petit-fils, en roumain, mais Teddy, qui n'a guère pratiqué sa langue d'origine, ne comprend pas tout.De plus, il est étonné de voir sa grand-mère lui parler roumain, ce qu'elle ne fait jamais.Alors la vieille dame s'énerve, répète son discours, et Teddy finit par en percevoir le sens.Il devient pâle, son regard effrayé va de la vieille femme au policier.Il ne sait plus que faire.Grand-mère Dinù vient brutalement de lui dire qu'elle a été dans cet endroit pour y prendre le cœur encore frais d'un mort, afin de sauver le petit Michaël.Elle a ajouté :— Ne leur dis pas que c'est moi, sinon il m'empêcherait d'y retourner, s'il en fallait un autre.C'est pour cela qu'elle a parlé dans sa langue.Et non parce qu'elle se sent coupable de quoi que ce soit.Au village, dans son enfance, cette chose arrivait parfois, et cela se faisait toujours de nuit, afin que les autorités ne puissent pas punir ceux qui brûlaient les Strigoï.Officiellement, cette pratique était interdite, mais jamais personne n'avait été emprisonné pour cela.Grand-mère Dinù ignorait de toute évidence que depuis son enfance, la Roumanie avait bien changé, et que, fort heureusement, cette pratique était jugée criminelle, et sévèrement punie.D'ailleurs, elle n'existait plus dans le nouvel état roumain.Finis les légendes, les vampires et les superstitions moyenâgeuses.Mais grand-mère Dinù avait quitté son village et son pays en mil neuf cent un.Pour elle, les traditions étaient encore vivantes Et elle se souvenait fort bien de sa propre mère, lui disant un jour, alors qu'elle était jeune mariée :— Si quelqu'un de ta famille souffre et va mourir, et que ce n'est pas la faute d'un Strigoï, tu devras marcher longtemps et aller hors du village, chercher le cœur frais d'un défunt que tu ne connais pas.Il te faudra le brûler sur la braise ardente, recueillir les cendres et les faire bouillir dans de l'eau pure.Celui qui boira cela échappera à la mort.— C'est ce que j'ai fait cette nuit, Teddy, pour sauver ton fils !Grand-mère Dinù a noyé son petit-fils d'un flot de paroles véhémentes, elle qui ne parle guère d'habitude.Puis elle se tait et attend.Teddy regarde les vieilles mains déformées par les travaux et l'âge.Comment ont-elles pu ?— Monsieur Gheorghi, cette vieille femme a fait quelque chose ?Il secoue la tête négativement, mais le policier voit bien que ça ne va pas.— Monsieur Gheorghi, si vous ne traduisez pas ce qu'elle a dit, nous allons devoir l'emmener pour l'interroger.Ce qui s'est passé là-bas est très grave.Une famille a porté plainte, si elle sait quelque chose.Teddy laisse échapper :— Ne la brusquez pas, elle ne croyait pas mal faire.Il a tant de mal à réaliser lui-même ! Il a le sentiment de découvrir des racines ignorées.Il est né du sang de cette vieille femme, lui, Teddy, l'Américain moderne.C'est comme s'il sortait du brouillard, comme s'il voyait pour la première fois son image dans une glace.C'est trop.L'enfant qui se meurt là-haut, et cette horreur que lui raconte le policier.Teddy parle.Il explique, sous le regard furieux de grand-mère Dinù, et il tente d'excuser.Mais pour des policiers américains, les histoires de vampires et de remèdes magiques, sont lettres mortes.La profanation est un crime.Alors, ils emmènent grand-mère Dinù [ Pobierz całość w formacie PDF ]
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