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.— Vous me pardonnerez de ne pas être très impressionné…, dit Norton.Marsalis bougea à peine sur sa chaise, mais ses yeux pivotèrent et sans prévenir, derrière la fatigue et la peine, Norton y lut quelque chose qui le fit frissonner des reins jusqu’à la nuque, comme une eau froide qui tourne dans une vasque.Ils attendirent que le compte à rebours achève son tour.Il atteignit zéro, recommença à compter le temps utilisé avant la transmission à l’autre bout.— Eh, le gagnant du gros lot !Gutierrez arborait un sourire mauvais, mais derrière, Norton voyait le frisson, le même sursaut qu’il avait ressenti quand Marsalis l’avait regardé une demi-heure plus tôt.Et le compteur racontait sa propre histoire en chiffres lumineux figés.Ils en étaient à environ deux minutes et demie de plus que le temps de transmission et trajet.À moins que le faucon de données ait offert un discours à la caméra, la différence de temps, c’était de l’hésitation.Gutierrez avait coincé, avait dû demander qu’on suspende l’émission.Sa fanfaronnade sonnait aussi faux qu’une étiquette Marstech du Tennessee.— Ouais, ta chance t’a pas lâché sur Terre, Marsalis ? Comment ça va ? Les filles du Dozen Up Club te manquent pas trop ?Après cela, Gutierrez passa au quechua.L’écran mitrailla des sous-titres pour suivre la cadence.— Tu es à trois cents millions de kilomètres de moi.Ça fait loin pour balancer des menaces.Qu’est-ce que tu comptes faire, monter en hibernation ? Tu vas venir jusqu’ici juste pour me tuer ? Tu ne me fais plus peur, Marsalis.Tu me fais rire.Ça continuait comme ça, dérisoire, pour faire monter la fanfaronnade.En résumé, ça disait « Va chier, connard ! »Et ça sonnait toujours faux.Marsalis regarda tout ça avec un sourire crispé.Quand la transmission s’arrêta, il se pencha en avant et répondit, lui aussi en quechua.Malgré l’incompréhension générale – Norton ne parlait la langue de l’Altiplano que pour compter de un à vingt ou demander quelques objets utiles –, il sentit une froideur sèche émaner du Noir et de ce qu’il disait.Les mots s’écoulaient dans un grand sifflement, avec détermination, comme une créature reptilienne sortant de son œuf.Sous le manque de sommeil qui lui étouffait peu à peu les sens, Norton connut un moment de clarté si suprême qu’il sut que c’était forcément un mensonge ; mais durant ce moment, il eut l’impression que quelque chose d’autre parlait au travers de Marsalis, quelque chose d’ancien et de pas vraiment humain qui se serait servi de sa bouche et de son visage comme d’un masque, d’un point de lancement pour se projeter au travers du gouffre entre les mondes.Afin de saisir Franklin Gutierrez par la gorge et le cœur comme s’il était assis de l’autre côté d’un bureau et non à un quart de milliard de kilomètres de vide sidéral.Il lui fallut un peu plus d’une minute pour tout dire, mais pour Norton, cela parut se dérouler en dehors du temps.Quand Marsalis eut fini de parler, le cadre de LINCOLN ouvrit la bouche pour dire quelque chose – n’importe quoi, briser ce grincement, ce silence de « quelque-chose-vient-de-partir », puis il s’arrêta, parce que Marsalis n’avait pas enclenché le bouton de transmission.Le message était encore ouvert, attendait qu’on le scelle, et pendant ce qui sembla un temps très long, le Noir fixa l’objectif en silence.Il le regardait, et rien d’autre.Puis il toucha le bouton et, d’une façon que Norton n’aurait pas pu définir, il parut s’effondrer.Il fallut une bonne minute avant que le cadre de LINCOLN trouve les paroles nécessaires.— Qu’est-ce que vous avez dit ? demanda-t-il avec des lèvres sèches.Marsalis s’agita comme quelqu’un qu’on réveille.Lui lança un regard normal, humain.Haussa les épaules.— Je lui ai dit que je retournerais sur Mars et que je le retrouverais s’il ne me disait pas ce que je veux savoir.Je lui ai dit que LINCOLN paierait le ticket, aller et retour.Je lui ai dit que je le tuerais, et tous ceux qu’il aime dans la foulée.— Vous pensez qu’il va y croire ?L’attention du Noir retourna à l’écran.Lui aussi doit être très fatigué, se dit soudain Norton.— Oui, il va y croire.— Et sinon ? Si votre coup de bluff ne prend pas ?Marsalis le regarda de nouveau, et Norton entendit la réponse avant que les paroles calmes et pragmatiques résonnent dans la pièce :— Ce n’était pas du bluff.Ils attendirent, jusqu’à zéro sur le compteur lumineux, puis les minutes continuèrent à s’accumuler.Aucun des deux ne parla – Norton, pour sa part, ne voyait rien à dire.Mais cette absence formait presque une compagnie.Marsalis croisa son regard une fois ou deux, et une fois il hocha la tête comme si le cadre de LINCOLN avait parlé, au point que Norton se demanda si, dans ses extrémités de fatigue et de chagrin, il n’avait pas exprimé tout haut quelque pensée intime.Si c’était le cas, il ne s’en souvenait pas.Le silence de la pièce le recouvrait comme une couverture, chaude et apaisante, invitant à la fuite, à l’abandon de cette peine, de ce foutoir, invitant à la chute vers l’oubli moelleux du sommeil trop retardé…Il se réveilla en sursaut.Le tintement de la réception, et son cou, tordu et douloureux.L’écran dessina une nouvelle image.Accompagnée de la voix de Gutierrez, paniquée et balbutiante.45« Tu es propre.»Il ne comprenait pas ce qu’elle avait voulu dire, pas vraiment.Il essayait.Il s’attaqua à toutes les implications touffues de ces paroles, tandis qu’il attendait, assis, dans une flaque de lumière dans les bureaux éteints de LINCOLN, et se rejouait la transcription des aveux de Gutierrez.Exaspéré, il abandonna le problème.Y revint, perdu dans ses ramifications.« Ce qui ne laisse que toi, Carl.Tu es propre [ Pobierz całość w formacie PDF ]
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